« Just Remember it’s not a lie if you believe it »

Allongé sur le sol, le dos frissonnant sur le carrelage glacé, le regard ébloui par des spots industriels de mauvaise facture, 25W lui donnant un sentiment de chaleur, il n’avait aucune envie de se déplacer.

Un etat transit entre la froideur du sol et  la réconfortante lumière des spots s’accommodait parfaitement avec son humeur, il n’était ni content ni triste, Neutre, il était très loin des états d’excitation que ces situations étaient censés provoquer.

La cuisine était situé au rez-de-chaussée de cette grande bâtisse en pierre terne,  « vintage house » de la banlieue de Memphis, une impression dominante de préfabriqué contrastante avec l’apparente luxure des matériaux utilisés. Le carrelage marronnasse était censé ressembler à un marbre utilisé principalement à la renaissance italienne. « Rouge de Vérone », l’agent immobilier avait insisté sur ce point, plusieurs fois, « look at this wonderfull « Rouge de Verone » you’re french you should love it », etre francais n’impliquait pas forcément un amour des matériaux désuets. Ce carrelage était tout de même moins agressif que celui choisi pour les salles de bains. Un « Supreme Salomé » qui jurait fortement avec les meubles en tek. Il avait déjà vu ces Marbres en France, une suite au Ritz, une soirée de début de printemps, la place Vendôme et son ballet de nouveaux riches de tous les pays, une belle soirée, une autre vie.

Le faux parquet de la grande pièce principale brillait naturellement malgré la couche de poussière évidente. Les cartons entassés le long du mur principal s’écroulait, ou donnaient l’impression continuelle de s’écrouler, le mouvement infini enfin résolu. Des cartons entassés depuis presque 10ans, jamais ouverts, ou partiellement, il ne savait plus très bien ce qu’ils contenaient.

Il avait acheté cette maison deux cent mille dollars à son arrivé à Memphis. Elle ressemblait beaucoup à la bâtisse qu’il venait de quitter à Vancouver et lui donnait l’impression rassurante d’une continuité. Le quartier n’était pas terrible, mais pas plus mal que toutes les zones pavillonnaires de banlieue américaine. Souvent en regardant par la fenêtre, il avait l’impression fugace d’habiter Whisteria Lane.

Il n’était pas fan de séries américaines mais allongé ainsi sur le sol il ressemblait a s’y méprendre à Georges Costanza, l’anti-héro de Seinfeld, les cheveux en plus. Il connaissait bien Georges car on lui rappelait souvent sa ressemblance avec le personnage, cette capacité quasi mystique à transformer les situations les plus positives en catastrophe, s’adaptant finalement beaucoup mieux à sa nature profonde.

Ce poste aux grizzlies était à la fois l’aboutissement de sa carrière et son premier véritable poste managérial. Il le voyait comme un tremplin vers une franchise plus réputée ou peut être un retour dans le foot, son premier amour, en grande pompe… il imaginait les feux d’artifice, la tour Eiffel, la garde nationale et Jacques Toubon faisant l’hommage du retour du fils prodige. Mais les années passaient, les rêves avec, et il avait maintenant adopté le mode de vie d’un grizzli. Il vivait seul, hibernait en été lorsque la saison s’achevait, s’enfermant plusieurs mois. Puis comme ragaillardi s’agitait sans cesse à la recherche de gros poissons de l’automne au printemps.

Cette saison il s’était beaucoup agité, il avait fait son job à fond, remué ciel et terre, lâché de gros poissons pour de plus petits, puis attrapé des gros puis relâché certains. Chaque poisson est un appât pour la prochaine pèche, une seule chose compte, ce qu’il y a dans le saut à la fin. Il avait été content du résultat puis le plaisir s’est dissipé, il s’éteint toujours, laissant la place au doute, ce trou béant.

Dans ce job, comme dans tous les jobs il existe des KPI, personne ne sait réellement ce que KPI veut dire, mais tout le monde a une vague intuition d’une mesure de performance. La qualification en PO en est une, on est dans les 16 ou on ne l’est pas. Etre dans les 16 est une forme de performance mais ne pas y etre n’est pas forcément une contre-performance si l’on détient son pick et que la draft est bonne… charabia de fanatique, compréhensible seulement par ceux que le sport US passionne, soit au final… au moins 15% de la population mondiale… nouvel opium du peuple, il avait le sentiment à ses débuts de son statut de privilégié, il l’avait analysé, compris, assimilé puis comme tous les privilégiés l’avait banalisé pour au final n’en tirer aucun plaisir. La richesse ne rend pas heureux, vivre de sa passion ne rend pas heureux, il n’y a pas de recette miracle au bonheur, quête illusoire, abandonnée depuis longtemps.

La qualif en poche pour les PO, Les KPI de cette année ne sont donc pas mauvais, comme a peu près tous les ans, rien qui justifierai son licenciement. Il rempilera donc pour un an. Après les PO, ca devrait aller vite. Il pourra enfin se reposer.

Il lui faut donc se lever du sol, ce n’est pas tout à fait terminé, il remet le Tshirt et le pantalon de la veille, personne ne le remarquera se dit il, les clefs du SUV, les mocassins marrons direction les bureaux.

Ryan de la sécurité faisait plus de deux mètres, il se rappelle l’avoir entendu raconter ses exploits à l’université, tout le monde vivait basket ici. Mais lui  le petit homme grassouillet dénotait nettement, il aimait bien ce statut d’extraterrestre et pour cette raison il avait toujours refusé de prendre Stan van Gundy en head Coach. Il n’y a de la place que pour un petit grassouillet dans cette ville.

La sécurité une fois passé, il se retrouva nez a nez avec le « owner ».  Le riche, le patron. Derriere chaque franchise il y a un patron megalo, plus ou moins psychopathe et toujours très fortuné qui a acheté une franchise pour s’amuser. Son « owner » à lui est un jeune gars, richesse éclair dans les nouvelles technologies, amoureux du basket, joueur médiocre mais il dunk. Il est le seul owner a dunker avec Michael Jordan… chacun sa fierté. Robert J. Parea a acheté la franchise cette année, et ce que Biboum sait maintenant avec certitude c’est qu’il est plus bête qu’il n’y parait. Un génie dans son domaine, les telecom, mais le simple fait de lui faire encore confiance est une preuve irréfutable de ses limites intellectuelles. Ils entrent ensemble dans l’ascenseur, Robert avec son anglais new génération lui parle d’un contrat de 5ans avec des millions de dollars. Oui il va le signer, non ne t’inquiète pas Bob, je n’irais pas ailleurs (a lui-même : qui voudrait bien de moi..), oui le contrat me satisfait, oui nous allons réaliser de belles choses, oui tout est possible en PO (faut pas rêver non plus), oui les Kings sont prenables (surement pas par nous..) Oui il va de ce pas discuter avec le coach de tactique…. L’ascenseur est enfin arrivé et ce supplice se terminer.

costanzaUne chose surprend encore Biboum, la confiance accordée à son jugement… ici au bureau on l’écoute attentivement, on croit en sa vision, et quand il débite ses âneries sur la qualité de l’équipe sur la confiance accordé au groupe sur les chances énormes de victoire… il voit son équipe, son staff dans leur yeux de passionnés, d’illuminés… il voit l’impensable … il voit  l’espoir !

L’espoir en lui a pourtant disparu depuis longtemps. Vivement que le premier tour se termine, il n’avait pas fini de profiter de ce mélange de sensation procuré par le froid du carrelage et la chaleur des spots.

 

 

 

 

About biboum

Grizzlies GM 1999 - 2008 Assistant GM aux Lakers quelques semaines en 2008 GM des Grizzlies de 2008 a 2017 En 2017 la Franchise des Grizzlies demenage a Atlanta et se baptise les Hawks ou #TeamDegueu (et perd son histo)

12 rebonds

  1. La clairvoyance d un alexandre rasteau, la passion d un enfant. C est beau.

  2. magnifique
    J’ai envoyé le texte à la prof de français de ma fille pour qu’ils l’étudient en classe

  3. Wooww, tu as loupé ta vocation…!!!! Remarque il n’est jamais trop tard pour bien faire !!!

  4. Pas mal le bougre. Du Harlen Coben à la française 😀

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.